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De la race des seigneurs

LE BARON BICH FAIT RENTRER LA FRANCE DANS LA COUPE DE L’AMERICA

Depuis sa première mise à l’eau en 1979, le 12 m JI France 3 a connu une riche histoire qui l’a vu traverser des périodes fastes en pleine lumière et d’autres plus sombres loin du monde de la course.

On doit la naissance du 12 m JI France 3 à la volonté de Marcel Bich, l’industriel français passionné par la Coupe de l’America qui finança quatre campagne en vue de ravir au New York Yacht Club la célèbre aiguière d’argent. France 3 fut son dernier bateau, celui avec qui il connut le plus de succès et fut l’aboutissement d’une longue lignée de 12 m JI armés pour la course ou l’entraînement.

L’aventure démarre en 1965 lorsque Marcel Bich achète le 12 m JI Sovereign (K-12), le Challenger britannique de la Coupe de l’America 1964, puis Constellation (US-20), son vainqueur américain. Un troisième 12 m JI, Kurrewa V (K-3) sister ship de Sovereign (qui deviendra par la suite Ikra), est acheté peu après par Marcel Bich et son bras armé pour ses rêves de victoire, l’AFCA (Association Française pour la Coupe de l’América).

PREMIÈRE CAMPAGNE FRANÇAISE DANS LA COUPE DE L’AMERICA

En 1968, Marcel Bich fait construire son premier 12 m, Chancegger (F-4), dessiné par l’américain Britton Chance et construit en Suisse par le chantier d’Hermann Egger, grand spécialiste du bois. Ce bateau ne participera à aucune régate officielle car dessiné et construit par des étrangers, mais servira de référence de départ et de bateau d’entraînement.

Pour l’édition de 1970, Marcel Bich arrive à convaincre le New York Yacht Club d’accepter les défis de plusieurs challengers qui devront se sélectionner entre eux, ce qui était jusqu’alors refusé. Il fait construire le premier 12 m JI 100% français sur plans de l’architecte marseillais André Mauric avec une réalisation en bois à nouveau confiée aux ouvriers du chantier suisse Egger qui travaillèrent dans un local de Pontarlier, du côté français de la frontière, afin de respecter les règles de nationalité. Pour cette première tentative, France (F-1) sera néanmoins largement dominé 4-0 par son unique adversaire challenger, l’australien Gretel II (KA-3), lequel sera ensuite battu en finale par l’ américain Intrepid (US-22), vainqueur pour la seconde fois consécutive.

SECONDE CAMPAGNE FRANÇAISE

En 1974, pour sa seconde campagne, Marcel Bich commande d’abord un nouveau bateau aux danois Pol Elvström, multiple champion olympique, et l’architecte Jaen Kjaelruff, mais sa construction est arrêtée avant même d’être terminée en raison du doute suscité par l’énorme bulbe qui devait être positionné sous l’étrave, façon cargo. C’est donc à nouveau France (F-1) qui est envoyé sur les champs de bataille pour disputer les éliminatoires du challenger face à l’australien Southern Cross (KA-4) qui s’impose sur le score sans appel de 4-0. Southern Cross (KA-4) sera battu en finale par le nouveau champion du New York Yacht Club, le légendaire Courageous (US-25).

LA NAISSANCE D’UN MYTHE

Pour 1977, c’est à nouveau André Mauric qui conçoit les lignes du prochain challenger français qui sera construit en composite coque bois / structure aluminium et baptisé France II (F-2). Mais le bateau sera modifié sans le consentement de son architecte avant même la fin de sa construction, et se révèlera incapable de faire mieux que France qui est donc engagé pour la 3ème fois dans la compétition. Celles-ci est nettement plus corsée avec la présence de deux défis australiens et d’un nouveau concurrent suédois Sverige (S-3), conçu et barré par Pelle Petterson. Après une série de round robins (poules de classement) dans laquelle France ne remportera qu’une seule victoire face à Sverige, le challenger français sera logiquement battu par Australia (KA-5) en demi-finale, à nouveau sur le score sévère de 4-0.

A l’orée de la campagne 1980, pas découragé pour autant, le baron Bich n’a donc d’autre choix que de faire un réaliser un nouveau bateau : il s’appellera France 3 (F-3), sera en aluminium et portera une originale livrée bleu blanc rouge.

Un architecte très spécialisé

Pour concevoir France 3, Marcel Bich fait appel à Johan Valentijn, jeune architecte qui a le vent en poupe dans les milieux de l’America’s Cup. Né en Hollande en 1948, Johan Valentijn dont la famille possédait un chantier naval a d’abord suivi des études d’architecte naval, avant de partir pour les Etats-Unis en 1971 où il intègre le cabinet Sparkman & Stephens. C’est l’époque ou le célèbre architecte new-yorkais travaille à la conception de Courageous (US-25), le premier 12 mJI entièrement construit en aluminium. Valentijn change ensuite de continent pour travailler en Australie avec Bob Miller (qui prendra par la suite le nom de Ben Lexcen) avec qui il va co-dessiner Australia qui sera challenger en 1977 et 1980 sur un financement du multimillionnaire australien Alan Bond. Les deux hommes testent notamment des carènes au bassin d’essai de l’université de technologie de Delft en Hollande. Il a donc une solide expérience quand il s’attèle à la conception de France 3. Johan Valentijn poursuivra ensuite sa carrière avec Dennis Conner et le New York Yacht Club pour créer l’infortuné Liberty battu par Australia II en 1983 avant de quitter le monde de la course pour concevoir des bateaux de croisière pour le chantier Endeavour (USA). On le retrouvera à la fin de sa carrière à Abu-Dhabi ou il œuvrera à une réalisation titanesque, la construction de M/Y YAS, l’un des plus grands yachts du monde (141 m) dérivé d’une frégate militaire des Emirats Arabes Unis.

France 3 sera construit en 1979 entièrement en aluminium à La Rochelle dans une unité du chantier Dufour spécialement créée pour l’occasion. Le chantier Dufour avait été racheté par Marcel Bich en 1976 à son fondateur Michel Dufour alors en difficulté. Le chantier est dirigé à l’époque par Bernard Minvielle avec Bruno Troublé au poste de directeur commercial. Accessoirement, Johan Valentijn va même dessiner à cette époque des voiliers de course-croisière en aluminium pour le chantier Dufour, notamment le Dufour 9000 A.

Aussitôt construit, France 3 est envoyé à Newport, et commence l’entraînement en vue des sélections du challengers qui réunissent à nouveau quatre nations : Australie, Angleterre, Suède et France.

1980 : France 3 dans le match

Fort de l’expérience des trois campagnes précédentes, Marcel Bich et son équipe savent où mettre les pieds pour la campagne de 1980. Fidèle à ses habitudes d’aller cherche les talents là où ils se trouvent, le Président de l’AFCA va élever le niveau des entraînements en rachetant Intrepid, le defender victorieux de 1967 qu’il met entre les mains de régatiers américains comme Gerry Driscoll, Bill Ficker, Lowell North, ou John Marshall. France 3 et son équipage sont au niveau ! Dès la fin de la saison estivale à Newport, des modifications techniques sont effectuées : augmentation de la surface de quille, remplacement du trimmer, modification de la voûte arrière, simplification du système de barre, redimensionnement du gréement, modification de la surface de voilure figurent sur la longue liste du chantier d’hiver.

Au printemps 1980, l’AFCA déménage en Californie pour des entraînements ou des progrès sensible sont constatés, avant de revenir à Newport en mai pour les dernières mises au point. France 3 remporte notamment 18 – 10 une série de régates face à Sverige.

Les sélection du challenger débutent le 4 août 1980 et la concurrence est solide. Outre les australiens d’Alan Bond qui engagent Australia pour la deuxième fois consécutive, les anglais sont de retour avec Lionheart, un tout nouveau 12 m qui a la particularité d’avoir une tête de mât extrêmement flexible pour augmenter artificiellement la surface de la grand-voile, ce qui est une arme redoutable dans le petit temps. Les suédois sont également de retour avec un Sverige amélioré entre les mains de son architecte Pelle Petterson.

Les round robins prouvent d’entrée la supériorité d’Australia, mais France 3 et son équipage sont dans le match en prenant la seconde place devant Lionheart (K-18) et Sverige.

La demi-finale Australia-Sverige est vite réglée sur le score de 4-0, mais celle entre France 3 et Lionheart dont la barre est désormais confiée au jeune Laurie Smith sera extrêmement serrée. Abordages, réclamations, l’affaire se finira sur le fil et face au jury sur score serré de 4-3 en faveur des français.

Le score de 4-1 de la finale de la sélection du challenger qui oppose Australia à France 3 prouvera la supériorité de vitesse du bateau australien, mais en remportant une victoire, le clan français prouve cependant qu’il était un adversaire de valeur. C’est la fin des campagnes financées par le baron Bich.

Cette place de finaliste dans les sélections du challenger reste à ce jour la meilleure performance réalisée par un concurrent français dans la Coupe de l’America.

1983 : Changement d’époque

1983 restera dans l’histoire comme l’édition qui a changé le visage de la Coupe de l’America, notamment par la première victoire d’un challenger sur un defender américain au terme de 24 éditions étalées sur une période de 132 ans. La victoire historique d’Australia II sur Liberty sur le score de 4-3 au terme d’une dernière régate insoutenable de suspens va changer totalement la donne pour le futur d’autant qu’elle fut acquise l’année même où les challengers furent plus nombreux que jamais.

Côté français, c’est désormais le producteur de films Yves-Rousset Rouard (Emmanuelle, Les bronzés, le Père Noël est une ordure) qui mène l’effort tricolore. Apprenant par un journal télévisé dans lequel Bruno Troublé lance un appel à repreneur afin de poursuivre les efforts du Baron Bich, Yves-Rousset-Rouard n’hésite pas une seconde. Il appelle la régie pour se faire connaitre, et part à Newport dans la foulée pour racheter France 3, ses équipements et une partie de la logistique qui va avec. Et repart de zéro, ou presque : de toute l’équipe de l’AFCA, seuls le skipper Bruno Troublé et Jean Castenet qui prend le rôle de directeur technique rejoignent la nouvelle équipe en formation. Ne bénéficiant pas des moyens du Baron Bich, Yves Rousset Rouard choisit alors de mettre en place un financement basé sur une effort national allant des souscriptions publiques, à l’aide des pouvoirs publics, en passant par le sponsoring commercial des entreprises ou l’aide de différents ministères. Il s’adjoint les services d’Henri de Maublanc pour le management général. Le challenge est d’ampleur en cette époque ou la France vient de changer de majorité politique et ou le dollar grimpe chaque jour un peu plus, allongeant sans cesse le montant des factures à régler sur place.

France 3 est néanmoins ramené en France pour une série de modifications techniques confiées à l’architecte cannois Jacques Fauroux. Elles seront réalisées au chantier Fourré-Lagadec implanté à Harfleur, à proximité du Havre, ou France 3 arrive au printemps 1981. Au programme : changement de quille, modification du cockpit avec avancement des barres, encastrement de la barre d’écoute dans le tableau arrière afin de pouvoir border la grand-voile plus efficacement, nouvelle approche pour la conception et la fabrication des voiles, installation d’un ordinateur de bord. Les entreprises françaises sont sollicitées, Péchiney pour l’aluminium des mâts et Brochier Espace pour le tissus à voile.

France 3 est ensuite envoyé à Newport pour une première saison d’entraînement après un passage au chantier Cove Haven situé à quelques miles au nord de Newport pour finir le travail entrepris au havre, la peinture notamment. Il n’arrivera à Newport en cours de saison que le 12 aout 1982, ce qui permettra néanmoins de dégrossir le nouvel équipage et de mettre au point les modifications techniques. Mais le Défi Français Pour la Coupe de l’America, l’association créée par Yves Rousset-Rouard n’a pas les moyens de s’offrir un lièvre d’entraînement ni de faire courir deux équipages. Bruno Troublé n’est pas toujours là, et cède souvent sa place à Patrick Haegli ou Michel Teweles. Le DFCA n’est pourtant pas le seul dans ce cas, et dans la cohorte de 12 m JI qui investit Newport cette année là, les moyens sont disparates. Jamais il n’y a eu autant de syndicats en lice. Trois côté américain : Freedom Campaign 83, Defender/Courageous groups. Sept côté reste du monde : deux défis australien (Australia et Advance), un canadien (Canada One), un anglais (Victory Challenge), un italien pour la première fois (Azurra), en plus du français. Ces premiers entraînements se concluent sur une participation sans éclat au championnat du monde des 12 m JI 1982 disputé en flotte et remporté par l’anglais Victory 82.

Pour ne pas baisser de rythme durant l’hiver 1982-83, le DFCA déménage en Floride, à Miami Beach afin de poursuivre ses entraînements solitaires mais profitera néanmoins de la présence à Fort Lauderdale du défi Canadien pour effectuer quelques régates et entraînements communs. Michel Teweles étant le responsable des entrainements de France 3.

De retour à Newport au printemps, France 3 va poursuivre sa mise au point en disputant notamment quelques régates avec ses futurs adversaires. Les talents de Bruno Troublé dans les départs font de lui un sparring partner recherché.

Puis viennent les premières régates, en arrivant à arracher 4 victoires (2 sur Advance, 1 sur Canada 1, 1 sur Azzura), Bruno Troublé et le jeune équipage talentueux français sauvent l’honneur. France 3 finira sa carrière par une victoire sur son adversaire Advance (KA-7).

1986-87 : Cap sur l’Australie !

Pour l’édition 1987 qui sera disputée en Australie, deux défis français voient le jour. L’un mené par Marc Pajot sous les couleurs de la Société Nautique de Sète, l’autre par son frère Yves qui avec Pierre English, ancien des campagnes d’Eric Tabarly et skipper de course au large, et l’appui de Gaston Deferre, lance un défi sous pour le compte de la Société Nautique de Marseille. Tandis que Marc Pajot parvient à récupérer Freedom (US-30) qu’il rachète au Défi Azzurra avant de lancer son célèbre French Kiss, Yves pajot récupère Challenge 12 (KA-10), le lièvre d’entraînement d’Australia II, en Italie ou un syndicat italien qui n’a jamais vu le jour l’avait ramené.

La nécessité d’avoir deux bateaux pour mieux progresser n’étant plus à démontrer, Yves Pajot et Pierre English concluent un accord avec Yves Rousset-Rouard afin de pouvoir utiliser France 3. Installée dans le port de la Pointe Rouge dans les locaux de l’Institut National de Plongée Professionelle, la nouvelle équipe va mettre en route les deux anciens adversaires avec l’aide de Laurent Esquier, un des anciens de l’époque Bich qui a ensuite évolué dans le monde des maxis, puis travaillé avec Dennis Conner en 1983. Challenge France n’a pas beaucoup plus de moyens que n’en avait le DFCA à Newport, mais parviendra tout de même à faire fonctionner deux équipages durant l’été 1984 avant de mettre tout son matériel sur un cargo à destination de Fremantle.

L’Australie de l’Ouest est devenue la nouvelle patrie de l’America’s Cup désormais détenue par le Royal Perth Yacht Club grâce à la victoire d’Australia II. Jamais la Cup n’a suscité autant d’envies : quatre syndicats australiens sont en lice (Australia, Kookaburra, Steack’n Kydney, South Australia) pour la défense, douze challengers dont cinq américains vont s’affronter dans la Louis Vuitton Cup. France 3 est du voyage, son rôle de sparring partner permettra à Yves Pajot de développer son nouveau bateau Challenge France (F-8). pour rappel cette 27ème coupe est remportée par l’américain Dennis Conner à la barre de son Stars and Stripes (US-55) face au defender australien Kookaburra III (KA-15). Une revanche implacable pour le Yankee !

France 3 reviendra en France en compagnie de la plupart de ses congénères sur un même cargo en direction de l’Europe, mais tandis que ses alter-ego désormais tous équipés de savantes quilles à ailettes se dirigent vers Porto Cervo (ITA) où aura lieu un championnat du monde en septembre 1987, France 3 pour sa part prend la direction de la Bretagne et de l’école Navale de Lanvéoc Poulmic. Yves-Rousset-Rouard, toujours propriétaire du bateau, en a fait don à la Marine Nationale.

Dix ans à l’école navale, puis 23 ans à terre

Hasard de l’histoire, France 3 va retrouver sur la base de l’Ecole Navale située dans la rade de Brest à Lanvéoc-Poulmic une vielle connaissance: le 12 m JI France ! le bateau dessiné par André Mauric est là depuis 1984, date à laquelle l’AFCA du baron Bich l’a mis à la disposition de la Marine Nationale. France a navigué jusqu’en 1992 avant d’être récupéré en 2010 par la famille Bich qui le fera restaurer en 2010-2011. Les futurs officiers de marine français vont donc continuer à se former à la manœuvre d’un voilier de compétition pendant dix ans sur France 3, participant même aux fêtes maritimes de Brest en 1996. La difficulté de tenir le voilier en état de naviguer finit par avoir raison de la volonté de l’Ecole navale qui décide de le désarmer et le stocker sur le terre-plein de l’Ecole navale. Au bout de 24 ans de totale inactivité, l’Ecole navale cherche un repreneur pour lui donner une seconde vie.

Heureusement, France 3 va croiser le chemin d’un homme de volonté, Yann Labbé, professionnel reconnu de la plaisance à Concarneau, un de ces hommes qui ont vibré pendant leur jeunesse aux exploits du 12 m français à Newport. Deux expertises diligentées en 2016 et 2021 attestent que la coque et la structure sont toujours en bon état. L’accastillage, l’électronique, l’hydraulique, les voiles, et le gréement sont à reconstruire entièrement.

Dans l’optique de restaurer le bateau pour le refaire naviguer dans le circuit des yachts classiques aux côtés des nombreux autres 12 m JI, la priorité de Yann consiste à susciter la passion et l’intérêt humain indispensable, qui vont permettre de mener à bien et de financer la remise en état. D’anciens équipiers de la campagne 1983 qui sont pour la plupart restés amis et devenus des professionnels du nautisme se mobilisent. Yves Rousset-Rouard est sollicité et accepte  le poste de Président d’Honneur de l’association d’intérêt général France 3-83 qui est créée en 2022. Tous les éléments sont donc en place pour qu’une nouvelle page de l’histoire de France 3 puisse commencer à s’écrire…